Les ganglions lymphatiques (GL) permettent l’initiation de la réponse immunitaire en concentrant dans un même organe les cellules présentatrices d’antigènes (CPA) dérivant de la lymphe et les rares lymphocytes spécifiques de ces antigènes provenant du sang [ 1]. La structure des GL est formée par les cellules stromales qui créent un espace tridimensionnel dans lequel les cellules hématopoïétiques (lymphocytes, CPA, etc.) transitent et se regroupent en zones distinctes : follicules B pour les lymphocytes de type B et zone T pour les lymphocytes de type T (Figure 1).
Afin de mieux appréhender le phénomène par lequel les lymphocytes ségrégent et transitent jusqu’à leurs zones respectives, notre laboratoire a entrepris d’étudier comment les lymphocytes se déplacent et se repèrent/localisent au sein des GL, en combinant différentes techniques d’imagerie [ 2].
En 2002, les premiers travaux d’imagerie dynamique réalisés sur des GL ex vivo ont révélé l’extraordinaire mobilité des lymphocytes T et B au sein de leurs zones respectives [ 3]. Pour les cellules T, ce mouvement semble aléatoire [ 4]. Cependant, lorsque les cellules T naïves s’approchent des follicules B, elles rebroussent chemin et adoptent à nouveau un mouvement aléatoire alternant des trajectoires rectilignes interrompues par des changements de direction soudains, un comportement qui nous a laissé présager l’influence de signaux physiques et/ou chimiques jusqu’alors invisibles.
Le maintien de la structure des GL est assuré par un réseau dense de cellules stromales. Les cellules fibroblastiques réticulaires (CFR) sont les principales cellules stromales colonisant la zone T tandis que les cellules dendritiques folliculaires (CDF) résident dans les follicules B (Figure 1) [ 5, 6]. Ces 2 types de cellules stromales peuvent être distingués par leur expression d’antigènes spécifiques : par exemple, des anticorps dirigés contre certains récepteurs du système du complément reconnaîtront spécifiquement les CDF mais pas les CFR. Un marquage des chimiokines indique que CXCL13 est produite par les CDF mais pas par les CFR alors que pour CCL19 et CC21, c’est l’inverse. Plusieurs groupes ont émis l’hypothèse selon laquelle le réseau de CFR guidait les lymphocytes T au sein des GL [ 7, 8]. Cependant, du fait de l’extrême densité de ce réseau, la simple observation microscopique de coupes de GL ne permet pas de distinguer un modèle dans lequel les lymphocytes utilisent ces cellules pour se mouvoir d’un modèle où, à l’inverse, ils se déplacent en évitant ce réseau.
Afin de répondre à cette question, nous avons utilisé la microscopie biphotonique. À ce jour, cette technique est la seule capable de suivre, à une profondeur de 150-300 μm et en temps réel, le mouvement de lymphocytes au sein des GL d’une souris anesthésiée. Afin de visualiser simultanément, à l’intérieur des GL, les mouvements des lymphocytes par rapport aux cellules stromales, un double marquage différentiel de ces cellules s’est avéré nécessaire. Pour ce faire, nous avons irradié des souris exprimant la GFP (green fluorescent protein) dans toutes les cellules de leur organisme. L’irradiation permet de conserver les cellules stromales radio-résistantes tout en éliminant les cellules du système hématopoïétique, système que nous avons restauré dans notre étude par une transplantation de moelle osseuse prélevée sur une souris normale qui n’exprime pas la GFP. Après quelques semaines, les souris « chimères » possédaient un système stromal vert au sein duquel se déplaçaient des lymphocytes non fluorescents, donc invisibles. Afin de suivre le comportement des lymphocytes au sein de ce réseau fluorescent vert, nous avons purifié des lymphocytes T d’une souris normale puis les avons marqués à l’aide d’une drogue émettant une fluorescence « rouge » avant de les re-injecter dans les souris chimères. Les GL de ces animaux possédaient alors un système stromal vert dans lequel se déplaçaient les lymphocytes endogènes invisibles (issus de la moelle osseuse transplantée) ainsi qu’un petit nombre de lymphocytes rouges que l’on a pu suivre au cours du temps. L’analyse en 4 dimensions (x,y,z et temps) des données acquises nous a révélé que les lymphocytes se déplacent à la surface des CFR, suivant et adaptant leur morphologie à celle des cellules stromales visualisées simultanément (Figure 2). Ces données ont donc montré, pour la première fois, que les CFR constituent des « rails » sur lesquels les lymphocytes migrent dans les GL.
Si les lymphocytes suivent le réseau des CFR dans la zone T, l’absence de CFR dans les follicules B implique que les lymphocytes B se déplacent à l’intérieur de ces régions en utilisant un support distinct. Localisées dans les follicules B, les CDF forment un réseau stromal impliqué dans la présentation antigènique aux lymphocytes B. De plus, les CDF sécrètent les chimiokines CXCL13 et BAFF (B-cell-activating-factor) : CXCL13 est nécessaire à la formation des follicules B, et, en son absence, les lymphocytes B ne se regoupent plus en follicules, et BAFF contrôle la survie des lymphocytes B [ 9, 10]. Au delà de ces rôles, nous avons cherché à savoir si les CDF représentaient l’équivalent des CFR dans les follicules B. En utilisant les souris chimériques décrites ci-dessus, et en focalisant notre attention sur les follicules B, nous avons pu montrer qu’à l’instar des CFR dans la zone T, au sein des follicules B, les CDF constituent le support que les lymphocytes B utilisent pour migrer.
Pendant longtemps, les cellules stromales des GL ont été perçues comme étant des cellules « inertes » dont la seule fonction est d’organiser la structure de l’organe dans lequel la réponse immunitaire se met en place. Nos données ont révélé que ces cellules jouent un rôle tout aussi important en créant des supports que les lymphocytes utilisent pour se mouvoir au sein des GL.